15 abr 2013

ENTREVISTA A ROLANDO VILLAZÓN EN "DER FEINSCHMECKER" (EL GOURMET)

Sumario Der Feinschmecker


La revista alemana Der Feinschmecker (El Gourmet) ha publicado en su último número una entrevista interesante y diferente a Rolando Villazón, que Jacqueline E. (vielen dank!) ha traducido al francés para nosotros.


Le "Feinschmecker" (journal appelé “le Gourmet“) a rencontré le ténor connu du monde entier Rolando Villazón à Paris, à une table de bistrot de juste 60x60cm avec trois couverts.  Au milieu de l'agitation, nous avons parlé de la force du silence, du bonheur des  mangeurs seuls et de l'année Verdi personnelle de Villazón.

-Il n´y a plus que quelques semaines jusqu´au début de votre tournée Verdi à Hambourg. Nous sommes heureux de pouvoir vous rencontrer aujourd´hui  à Paris, pendant une de vos rares journées libres. Pourquoi avez-vous choisi « La Cantine du Troquet Dupleix » dans le 14ème arrondissement ?
-RV : Oh, oh, j´y ai bien réfléchi - où dois-je conduire le gourmet ? Les choses trop compliquées dans l´assiette, ce n´est pas mon cas. Je n´aime pas ce qui veut trop m´impressionner. Lucia, ma femme, m´a dit »va à la Cantine ». Nous venons souvent ici. Le chef de cuisine est basque, ici c´est la cuisine de son pays, des plats francs et non déguisés, est-ce que ça vous va ?
-Evidemment ! Mr. Villazón, voudriez-vous bien commander pour nous ?
-Moi ??? (Il fouille d´abord la carte un peu effrayé, puis prend très vite plaisir à jouer  son rôle d´hôte et commande au hasard, avec de grands gestes).  Alors, nous prendrons la soupe de potiron avec du foie d´oie et du chorizo - pour Madame ! Et pour Monsieur ? Voyons…Oui, le bouillon de légumes parfumé à l´anis étoilé. Pour moi la charcuterie avec du pain de campagne et des cornichons. Et du vin rouge. Mais pas en bouteille ! Le Côtes de Brouilly en carafe, il ira très bien.
-Vous avez dit une fois que Paris était la seule ville où on pouvait très bien être assis seul à une table de restaurant.
-Oui, regardez là-bas, il y a un homme assis seul dans toute l´agitation et il mange et lit. En Amérique et en Allemagne il se ferait remarquer. On aurait pitié de lui. « Oh, il est si seul » ! En Allemagne on le penserait seulement et on regarderait. En Amérique il y aurait certainement quelqu´un qui irait le voir et lui dire « hello ». Pourtant l´homme a peut-être justement à ce moment the time of his life, seul mais non isolé. Avec son livre préféré, un bon déjeuné, un verre de vin.
-Est-ce que vous vous voyez vous-même á cette table ?
-Bien sûr. Je le fait tout le temps, en voyage, en tournée, dans le monde entier. Je n´aime pas rester dans les appartements loués ou les chambres d´hôtel, même si elles sont très belles. Il faut que je sorte, que je me perde dans la ville. J´aime découvrir les villes, me laisser emporter. Puis je vois un café, un restaurant qui a l´air bien, je regarde la carte et j´y reste, souvent pendant des heures. Au Mexique par exemple, être seul à une table, ça ne va pas du tout. Les gens penseront qu´on est dangereux, contagieux ou très dépressif. Là, on sort avec des amis ou en groupe.
-Et les parisiens ?
-Ils ne se soucient pas d´un consommateur seul. On le respecte et on s´occupe de soi-même. ça c´est le style parisien, aussi un peu excentrique. Comme le personnel. Le garçon vient demander „Est-ce que vous désirez encore ceci ou cela“? Et moi : »Non merci, mais vous pouvez emporter les assiettes ». Lui il répond :»Non ! » et s´en va. Ils sont comme ça.
-Vers quelle table vous dirigez- vous spontanément dans les restaurants ?
-Celle au fond dans le coin, d´où je peux tout observer. Puis je commence à me poser des questions : qui dans la salle est un habitué ? Et j´étudie la dynamique entre le personnel et les clients. La plupart du temps mon regard reste accroché sur une situation. Il y a par exemple un couple d´âge mûr et ils ne se disent pas un mot. On pourrait penser « Oh, c´est terrible, ils n´ont plus rien à se dire ». Puis on remarque que les deux sont très intimes. Ils jouissent de manger ensemble, sans aucune contrainte à parler. Tout au plus un des deux murmure : «Oh, c´est très bon !» et ensuite c´est de nouveau le silence. Des couples, des amants qui peuvent se taire ensemble -  cela me touche. De tels couples sont entourés d´une force particulière. Le silence est tellement important, aussi dans la musique.
-Le premier plat arrive.
-J´aime ce que le chef de cuisine fait ici, un peu espagnol, un peu français. Les plats sont servis de manière à ce qu´on reconnaisse ce qu´on mange. La soupe, ou le bouillon, comme maintenant pour vous deux, ne sont versés dans l´assiette qu´à la table, sur les ingrédients. Vous voyez : ici le foie d´oie, là le chorizo, les oignons, les épices. Voulez-vous goûter la charcuterie ? Elle est bonne ! Mais continuons avec le silence : le moment où le cerveau obtient de l´espace et du temps pour assimiler ce que nous absorbons est essentiel pour pouvoir simplement jouir et je pense aussi pendant le repas. On mange, on mâche, on parle - ou se tait et soudain...hmm, hmm...il se passe quelque chose, quelque chose est spécialement bon, une surprise, ça fait clic- on réfléchit, on sent aussi quelque chose de beau, d´étranger, peut-être même l´énergie du chef de cuisine.
-Et le silence dans la musique ?
-C´est la même chose. Le moment de silence sur scène est celui pendant lequel le public comprend ce qu´il vient de se passer. L´auditeur obtient l´espace pour être lui-même émotionnellement actif et entrer dans le dialogue. Chaque chanteur, chaque artiste qui apparait devant le public en a besoin. Sans ce dialogue en silence on meurt de faim. Et honnêtement, la toute première fois que j´ai senti que ma voix produit un effet sur quelqu´un, ce fut dans un tel moment.  Je sens encore la chair de poule. C´était lors d´un concours de chant à Mexico. Je n´ai chanté qu´une strophe, soudain il y avait quelque chose dans le silence.
-Qu´est-ce que c´était exactement ?
-Vous avez de la chance que nous mangeons ensemble - en fait oui, aussi un dialogue! Pendant une de ces interviews habituelles avec un verre d´eau, sur un sofa d´hôtel, je ne raconterais certainement pas tout cela. Donc : il y avait une sorte de vague, une force qui s´était emparée de moi, c´est difficile de trouver des mots pour cela, c´est presque métaphysique. La musique, seulement une strophe, avait réuni tout le monde dans la salle. Ressentir cela dépasse tout ce qui constitue une apparition sur scène. C´est comme un dialogue humain primaire - c´est un présent, un art qui ouvre les humains et les met sur une même longueur d´onde. Le public dans la salle renvoie quelque chose et ce qui arrive sur scène ce n´est pas de l´admiration, c´est beaucoup plus : une soudaine et profonde union des âmes.
-Si nous vous disions qu´un de nous à cette table était hier dans la cuisine, à couper des oignons au son de « La donna è mobile » - est-ce que cette interview serait terminée  subito?
-Bien sûr que non ! Les gens peuvent l´écouter où ils veulent. Bien que maintenant ici au restaurant, je n´aimerais pas m´entendre. Pour certains ce n´est pas facile de faire une conversation sensée quand un ténor crie à travers les haut-parleurs. Mais en faisant la cuisine, en repassant, c´est bien ! Et je suis sûr qu´hier vous avez coupé les oignons d´une autre manière que d´habitude, avec un élan de vie particulier. C´est ce que fait l´art. Ce matin au petit-déjeuner, j´avais soudain envie de lire à ma femme un poème de Pedro Saunas, un particulièrement beau. Nous étions tous les deux comme inspirés et, savez-vous ? Les cornflakes et le musli  - tout avait un autre goût aujourd´hui.
-Sur scène, devant les caméras de la télévision - vous êtes en Allemagne un invité apprécié dans les talkshows - vous avez l´air excité et bouillant. Votre réception de calories part pour la plupart en gesticulant et en faisant des blagues, n´est-ce pas ?
-Chez moi, il y a la personne publique et la personne privée. Dans les talkshows j´arrive à mes limites avec mon allemand et je cache cela avec des pitreries et fait le clown. Cela me convient et c´est pour cela que j´aime jouer au « clown docteur » avec le nez rouge.
-Qui vous a appris à écouter ?
-Bonne question. Je suis honnête : étant enfant, on me disait toujours de me taire, à table de laisser aussi parler les autres. Puis il y avait aussi moi seul - et la littérature ! Un jour m´est tombé entre les mains «L´appel de la forêt» de Jack London, la ruée vers l´or racontée de la perspective d´un chien de traineau. Génial ! Ensuite j´ai voulu lire encore un livre de chien et j´ai trouvé comme par hasard dans un magasin « Le loup des steppes » de Hermann Hesse. De Hesse je suis passe à Kafka. C´est encore aujourd´hui la même chose, un livre suit l´autre, je lis avec passion. Et beaucoup. Un livre par semaine, en cas idéal.
-Vous êtes venu avec votre lecture sous le bras.
-(Montre le dos du livre). Déjà plein de taches, merveilleux ! Et regardez notre table : cuillers, fourchettes, des restes de pain, tout pèle-mèle, l´appareil d´enregistrement à côté des concombres, votre bloc-notes dans le beurre, un de nous renverse bientôt un verre dans son ardeur et le vin coule dans la soupe ! C´est la vraie vie !
-Nous sommes très curieux. Voudriez-vous retourner votre livre ?
-C´est « Homo ludens » de Johan Huizinga, sur la signification du jeu dans l´histoire de l´humanité. Oui, les livres m´ont appris à écouter, mais aussi écrire des lettres.  Autrefois une lettre arrivait, nous l´ouvrions, nous tâtions le papier, reniflions  - y avait-il du parfum ? La senteur de l´encre? Nous lisions la lettre une fois, deux fois, la posions de côté, nous regardions par la fenêtre, nous triions nos pensées. Ensuite nous avons répondu, à la main bien sûr, plus lentement que par mail, d´une manière plus personnelle, plus poétique, plus philosophique. Aujourd´hui tout est fait pour chasser le silence et le temps libre de nos têtes. On nous fait croire que nous devons toujours nous distraire, être on top of things , avoir toujours l ´électronique la plus moderne, connaitre le dernier cri. Mais cela crée une société d´individus narcissiques extrêmement orientés sur eux-mêmes - sans silence, sans espace dans la tête.  On consomme, on ne reflète pas.
(……..)
-J´ai déjà chanté à l´âge de 11 ans. Je voulais aussi devenir prêtre, jusqu´à ce que l´opéra m´a trouvé: la musique me parle, l´œuvre. Et je veux la prendre comme elle est écrite, sans en savoir beaucoup sur le compositeur et son époque. C´est comme un tableau. Je veux le contempler et sentir s´il me touche ou pas, sans traités sur les lignes, les ombres, les taches de couleur. Je me suis souvent obligé à rester aussi ignorant que possible. Seulement depuis que je me consacre à verdi pour l´année Verdi 2013, je vois cela autrement. J´ai lu ses lettres et par cela il est arrivé quelque chose de bizarre : soudain Mozart aussi m´a intéressé. Je ne savais pas beaucoup de lui, il ne faisait pas partie de mon répertoire. Maintenant je voulais absolument chanter ce gars. Le gars, pas seulement les notes. J´ai lu sur lui tout ce que j´ai pu trouver. Et maintenant j´adore le chanter. Depuis, nous sommes les meilleurs amis.
-Donc aujourd´hui plus que jamais : toujours à nouveau Salzburg ?
-Oui ! Après les répétitions ou représentations, nous allons le plus souvent tous ensemble boire un pot.  Après je vais seul à pied jusqu´à la place Mozart, à sa statue et mène des conversations en silence avec mon « Mozi »: « Dis donc, pourquoi as-tu écrit ce dernier air fou pour le ténor ? » J´aime mon nouveau rituel.
-Et comment ça marche avec Verdi?
-Avec Verdi,  je ne pourrais pas aller prendre un pot de manière détendue. Nous nous disputerions, nous discuterions de façon véhémente, nous nous réconcilierons pour recommencer tout de suite à nous disputer. En lui, j´ai plutôt trouvé un sur-grand-père. Même pendant sa vie, le monde ne l´a jamais vraiment compris, il paraissait archaique, alors qu´on voulait du nouveau  - Wagner, les Allemands! Verdi, c´est Verdi ! Il ne rentre dans aucune catégorie. Il était fidèle à son travail et ne suivait que son talent.
-Une affinité spirituelle ?
-Je suis sans doute un loup blanc dans le monde de l´opéra. Je n´obéis pas à nombre de ses lois. Je suis mon intuition artistique, une faim, cela m´est plus important que de faire impression. C´est ainsi qu´était aussi Verdi. Pendant notre entretien, je viens de réfléchir aussi à propos des chefs de cuisine. Chez les très grands, c´est peut-être une chose semblable. Lorsque par exemple un invité dit : »Cher chef, ça a un goût affreux ! », ou : « Cette combinaison avec le citron, ça ne va pas du tout ! », un grand chef doit le faire quand même. La reconnaissance rapide, elle se dissipe. Le durable ne nait que lorsqu´on suit sa propre force artistique. (…)

7 comentarios:

  1. Catherincita15/4/13, 18:48

    Cette longue interview où Rolando se dévoile encore et toujours plus, alors qu'on lui donne enfin l'occasion de répondre à des questions plus originales que d'habitude...méritait, O combien ! d'être traduite.
    Merci d'avoir réalisé, pour nous, ce long travail, chère Jacqueline !
    C'est un vrai régal - sans jeu de mots- et en plus de ses considérations sur les rapports avec le public, j'adore la dernière phrase de l'interview :" Le durable ne nait que lorsqu'on suit sa propre force artistique".

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  2. Daniélita15/4/13, 18:51

    Merci beaucoup Jacqueline pour ce gros travail de traduction.
    Un nouvel entretien intéressant car différent, avec le plaisir de manger des plats savoureux mais simples,devant un bon verre de vin, et la détente qui en découle et qui favorise quelques confidences.

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  3. Voilà une interview que j'adore!!!!!

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  4. Merci Jacqueline.
    Vraiment nous sortons là des sentiers battus,interview différente .
    Quelques goûts et préférences culinaire voilà qui nous change .
    J'aime beaucoup son expression "je suis un loup blanc " etc..
    Cet homme reste simple ,sincère ,passionné et passionnant .

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  5. Merci, chère Jaqueline, j'imagine que l'interview en allemand est aussi beau que la version française. Il y à plus de philosophie ici est plus des chose intimes et profondes que dans la plupart des interviews de Rolando et je doute que c'est à cause du vin et d'un bon repas, si non c'est parce que le journaliste sait surtout écouter et laisse Rolando parler sans poser les même questions superficielles. Ou s'il l'a fait à décide de les laisser dehors... En effet, un interview qui me plait beaucoup.

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  6. ¡Bueno, por fin una entrevista jugosa, an la que nuestro Rolando expresa sus interesantes ideas con la elocuencia y la gracia que le son características! Mil gracias por la traducción, ha sido realmente un placer leerla.

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  7. On a grand envie d’être le numéro 4 sur cette table de 60x60! Comme toujours les mots de Rolando dégagent franchise et profondeur! Bravo Jacqueline pour cette traduction!

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